andata . ritorno    laboratoire d'art contemporain

Pierre Molinier

 

La Tribune de Genève, 11 avril 1983

Pierre Molinier : une brûlante inactualité

  

   L’art de Pierre Molinier est dévoré de passions. On y rencontre les tubéreuses succubes qui « pilotent l’univers », celles qui nous caressent avec leurs lèvres de marbre pourpre jusqu’à la transparence de l’ensanglantement. Avant-goût criminel, leur parfum est une espèce de foudre étouffée d’ozone et leurs ongles de diamant trop noirs, trop suffocants. Les femmes qui hantent cette nuit ravagée de luxure et de brillances désespérées ne sont pas seules, souvent jumelles et amoureuses de surcroît, elles se dépècent d’incestes, se foudroient de plaisir, puis s’étiolent comme des divinités indoues, enfoncées, défoncées en elles-mêmes.

   Molinier a l’immense privilège de ne pas être à la mode, ou d’aucune mode. Erotisme trop naïf pour beaucoup, gommé par une longue décennie de sex-shops, on le ressort parfois comme une curiosité, une anamorphose des bas résille. Soit, et c’est peut-être un des charmes de Molinier, on trouvera dans sa peinture et ses dessins le pire et le meilleur. S’il nous confine parfois dans un simili - confort où la mièvrerie excède les bornes, ailleurs il épure pour un maximum de tension, les lignes conduisant au dérèglement d’un désir qui se consume à mesure qu’il s’agrège.

   Parmi les obsessions de Molinier domine celle du « travesti ». Dès les années cinquante, il fixe sur pellicule ses voyages transsexuels et auto-érotiques caractérisés par une démultiplication vertigineuse de l’anatomie, phantasmes de décortication, de fragmentation et de torsion du corps qui parfois transitent de la nécrophilie au sado-masochisme en passant par la provocation pure, narcissique ou homosexuelle. Beauté noire de Molinier, corseté, gainé de soie, visage de poupée, amoureux fou des jambes implantées des factices, autant de lames dans la réversibilité des sexes, d’images abyssales sur l’identité.

   « Andata-Ritorno » présente sous le titre « Thérèse Agullo » (ami de Molinier à la vie interlope et au destin en forme de collision frontale) une série de photos couleur réalisées par  Molinier peu avant sa mort et qui mettent en scène ce personnage rasé au physique « à la Jean Genet ». L’intérêt « historique » qui éclaire ces images, c’est aussi le constat d’isolement social, sans doute volontaire qui entoure Molinier, au moment où les expériences d’Urs Lüthi ou de Luciano Castelli n’étonnent plus vraiment. Notons au passage que Castelli a été un des modèles de Molinier. « Agullo », en résille, en bas, avec sabre ou chaussures, a d’obscène plutôt sa maladresse et son inconvenante réalité que des pouvoirs d’ensorceleuse. Il en va nettement des facéties d’une amitié et d’un humour commun qu fait de l’art et de la vie une réalité identique. « Thérèse » n’est pas vraiment sordide ou malsaine, amoureuse peut-être, elle suinte en tout cas l’odeur des bars sans fond et éclate de rire, le couteau entre les omoplates en écrasant un blasphème.

   Molinier avait parfois mimé son suicide. Le 3 mars 1976 il inscrit sur sa porte : « Décédé 19 h. 30. Pour les clefs s’adresser Claude Fonsale le notaire ». Pour ses amis son testament photocopié : « Ça me fait terriblement c…. de vivre et je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rire ».

Patrick WEIDMANN

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