andata . ritorno laboratoire d'art
contemporain
Marie-Dominique Kessler
« Monotypes et dessins »
Vue de l’installation, Andata . Ritorno,
Geneve, 2005
Photo Beatriz
Carnero
Marie-Dominique
Kessler – Le plus important, dans mes dessins, c’est le processus. Un processus
d’exploration de l’ordinaire, du quotidien.
Dans ce travail,
le quotidien : les répétitions de moments, de situations.
L’ordinaire :
les structures organiques que le regard rencontre tous les jours de façon
accidentelle.
Le dessin, par son
caractère immédiat, est particulièrement fonctionnel dans ce processus. C’est
l’outil principal de cette exploration.
Françoise Bridel –
Je reconnais des plantes, des formes familières, un lien à la nature évident...
M-D K –
Familières, voilà un mot qui m’intéresse. C’est un moment où je reconnais une
forme mais je ne peux pas définir ce que c’est. Je reste avant la
conceptualisation.
F B – La
conceptualisation ?
M-D K – La
définition de l’objet.
F B – La
définition de l’objet ?
M-D K - C’est
quand tu vois par exemple une forme, une structure, et que tu réalises que
c’est un oignon.
F B – Tu crois que
l’on ne peut pas toujours reconnaître les formes dans tes dessins ?
M-D K – On peut
parfois reconnaître l’objet, quand je vais jusqu’à la représentation de ce que
l’on pense être les limites visuelles de l’objet. Mais le plus souvent, ça
reste avant, au niveau de la sensation. C’est un mouvement, un passage répété,
de la sensation au sens. J’essaie de prendre conscience des étapes de la
perception visuelle, et de rester le plus longtemps possible dans la première
perception. Il y a parfois un mouvement de va et vient entre la sensation et la
représentation. Il en résulte une image qui suggère un espace ou un temps entre
le connu et l’inconnu, image sur laquelle on projette sa propre expérience
visuelle, sa mémoire, ses associations.
F B – Mais ces
dessins, c’est encore autre chose !
M-D K – Quand je
me promène, que je regarde un tronc d’arbre, je m’intéresse d’abord à la
structure de l’écorce. Je retrouve ce processus d’exploration dans le travail
avec la matière. J’utilise de l’encre de taille douce, qui est une encre de
gravure. C’est une encre très tendre, dense, d’un noir profond, intense.
J’utilise du
papier de calligraphie japonais qui absorbe très bien l’encre. J’expérimente la
température, l’épaisseur de la couche d’encre, la pression du papier. La
technique est celle du monotype, appelée ainsi parce qu’il en résulte un seul
exemplaire. J’encre une plaque de verre et puis je dépose très délicatement une
feuille de papier sur le verre encré et je dessine sur l’envers du papier, puis
je le retourne. Le résultat aléatoire est souvent surprenant, parfois décevant.
Quelle partie de l’encre le papier
va-t-il absorber ? La qualité de l’encre fait la densité du noir
mais c’est le dessin qui va déterminer la facture du monotype.
F B – Les
formats : il y a des carrés et des formats allongées que tu appelles les
rouleaux…
M-D K – Les carrés
sont produits en grande quantité, ils me permettent de vivre de façon répétée
le processus de découverte d’un objet. Juxtaposés, ils expriment la diversité
des formes perçues. Le rouleau induit davantage une exploration de l’espace. Il
y a la sensation du mouvement, c’est fluide. Les traits, les vides, les pleins
se regroupent ou se séparent et créent des rythmes et des coupures, des césures
et des syncopes.
F B – Là je vois
des feuilles…
M-D K - Ce sont
des graines !
F B – Là, une
salade et un buisson…
M-D K – C’est une
rose, et ce sont des poils ! Je me donne beaucoup de liberté dans l’espace
de ma feuille de papier. Je ne suis pas dans la représentation, mais dans
l’exploration des structures, des lignes. Parfois, je dessine d’après des
photos : des tiges avec des poils me font penser à des poils du corps
humain. Je sors alors de la représentation de l’objet pour entrer dans les
sensations de l’objet, dans les projections de mes images intérieures. Je n’ai
pas de restrictions : ça reste des sensations organiques. Je regarde des
photos de plantes ou de corps prises au microscope, ces formes sont porteuses
de la même sensation organique que si je vois une chaîne de montagne ou
l’intérieur d’un fruit.
F B – Dessines-tu
aussi d’après de vraies montagnes ? ou de vrais fruits ?
M-D K – Oui, par
exemple les Gastlosen, depuis Charmey… l’intérieur d’une grenade ou d’une
orange, les graines de pamplemousse ou de cardamome.
F B – Et ça, c’est
quoi ?
M-D K – Un oignon
coupé en deux. L’envie de dessiner me vient aussi en faisant la cuisine, les
formes des légumes me fascinent. Faire la cuisine est avant tout pour moi un
plaisir visuel. Je coupe les légumes et en garde un morceau pour le dessiner.
Une recherche ordinaire qui part, par exemple, de la nourriture de tous les
jours. Arbre, herbe, poil, ces formes sont propres à la manière dont les choses
se développent, se transforment, et plus je dessine ces formes, plus j’en
découvre de nouvelles.
27 décembre 2004
…. Au lieu d’une vision
à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout
font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui
indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne tout ce qui se
présente du dehors comme du dedans.
Dessiner
l’écoulement du temps
Henri Michaux,
L’espace du dedans, Gallimard, 1966
Conversations
/ Françoise
Bridel, (english)
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