andata . ritorno    laboratoire d'art contemporain

Beatriz Carneiro

« Installations – peintures – sculptures »

Béatriz Carneiro marie dans cette exposition, installation, peinture et sculpture. Evoluant avec éclectisme entre ces trois modes, elle présente un ensemble d'œuvres précisément réunies en tant que tout. A travers le montage de l'exposition, se fait jour une proposition aboutie de relation à l'espace et entre les œuvres.

 

Les installations sont pétries d'un sens de la mise en scène qui confère aux objets regroupés un aspect singulièrement performatif. Ainsi, lorsqu'on se trouve face à une table couverte de gâteaux de goudron agencés sur des supports d'argent et que

 

l'on tombe sur une réduction de fauteuil en cuir devant une peau de vache partiellement recouverte de peinture rouge, nous entrons dans l'espace circonscrit de l'événement, où persiste un rituel antérieur qui se répète dans sa disposition actuelle. Derrière ces scènes, des couches de sens et d'histoires créent aussitôt la relation, assignant une densité aux objets. On est en pleine catharsis. Comme une auto-performance des histoires et du vécu.

 

Des yeux géométrisés, peints à la main, dans les tons noir et gris, couvrent un mur. Devant, sur le sol, un miroir d'huile reflète, dense et infini, la galerie et le panneau avec les yeux. Sur un autre mur, un panneau d'empreintes digitales inscrit 728 jours de la vie de l'artiste où sont brisés 728 pinceaux, dont les restes constituent une grande trace sur le sol. La destruction des pinceaux évoque la rupture avec la peinture, et la violence s'actualise, s'écoulant au fil des jours, exigeant que passent le temps et sa répétition pour que s'opère ce brisement à la fois radical et progressif.

 

La table et ses gâteaux, le fauteuil du père vide et miniaturisé, de façon à pouvoir y asseoir un enfant, traduisent une perte. Le fauteuil devient un poste d'observation lointain, à partir duquel se découvre la géographie de la peau de vache, carte et paysage, sanglante et saignée. La violence symbolique contenue dans ces mises en scènes de ruptures, incite néanmoins à quitter la position passive de celui qui subit une agression. Adjacent au constat de la perte, un brisement désiré, qui permet de dépasser ce qui a été donné –par la génétique, par le lieu social, par les liens familiaux -et de passer outre. Ces œuvres qui traitent du miroitement et de la tradition, offrent aussi l'hypothèse de l'altérité; elles permettent au spectateur de circuler en imagination -soit comme celui qui exerce, soit comme celui qui subit la sentence -à travers les différents points de vue et figures du drame.

 

Ce sont des objets" figés" pleins de vie. Dans une autre installation, des pièces de bois sculptées sont alignées, brûlées, et réduites en cendre avant de renaître sous forme de talismans, en un processus de récupération -quasi anthropophage -du bel objet perdu en facteur de bonne fortune. Dans ce monotype des mains qui communiquent par un écheveau telle une colonne vertébrale, encore des images de chute, mais aussi de rencontre (bien que reflétée) et de continuité.

 

Tandis que violence et rupture s'installent et se manifestent, une rigueur formelle met en place ces œuvres -sans leur faire perdre de leur force. Cette rigueur se révèle, par exemple, dans la façon extrêmement habile avec laquelle s'allient matériaux organiques et industriels. A côté de ces pratiques artisanales -tanner, entailler, brûler -et des marques corporelles -le monotype de la main -la sensualité visqueuse et abyssale du miroir d'huile et la dureté trompeusement comestible du goudron. Ceci, ajouté aux formes géométriques des yeux et aux trois couleurs basiques de

 

toutes ces œuvres -le blanc, le rouge et le noir -: aboutit à une sorte de minimalisme ethnique, de socle africain et latino-américain. Comme si se perpétrait ici un renvoi au primitivisme initial, sans que le passage par le modernisme européen ne dévitalise ou ne formalise par trop sa substance.

 

Avec le temps qui passe, le changement d'espace, les souvenirs se diluent. Reste une mémoire inodore que ne parvient pas à ré-ancrer ses résidus dans le présent. Le goût unique du gâteau de la grand-mère, gâteau platonique, idée de gâteau originel, mémoire non reproductible comme telle. Le goudron qui 'recouvre les pavés des rues de Rio et la poussière des routes du Brésil est la couche qui efface et recouvre la mémoire. Sirop bouillant qui parle de modernisation abrupte du pays, entraînant dans son magma la perte de caractère. En même temps, la sensualité du goudron, qui avec son odeur, tant qu'il est encore fumant, constitue une mémoire en soi. A partir du gâteau premier, d'autres gâteaux, l'exploitation de la forme du gâteau, épurée, multipliée, revisitée.

 

L'art de Beatriz Carneiro révèle une intelligence viscérale, mariage de l'épurement formel et de l'utilisation, par des parcours complexes, d'évocations et d'associations. Les sensations se transmutent et se traduisent en idées visuelles qui rappellent la richesse d'une Lygia Clark et d'une Louise Bourgeois. Art essentiellement contemporain, dans sa liberté d'utiliser des modes multiples et dans la maîtrise jouissive de techniques différentes à partir d'un imaginaire intégré et puissant.

 

Ana Teresa Renaud *

 

Beatriz Carneiro

Vue partielle de l’exposition, mai - juin 2004

Photo : Jacques Berthet

 

 

Beatriz Carneiro

Détails

Photo : Jacques Berthet

 

 

Beatriz Carneiro

Détails

Photo : Jean Béguin

 

 

Beatriz Carneiro

Vue partielle de l’exposition, (installation),  Andata . Ritorno 2004

Photo : Jacques Berthet

 

 

Ana Teresa Renaud *

Docteur en Cinéma de l'Université du Sussex, Ecrivain,

Correspondante internationale en matière d'Art contemporain

brésilien de la revue anglaise Contemporary. 

 

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