andata . ritorno    laboratoire d'art contemporain

Ladina Gaudenz

« Scotch wishes »

«On peut sans doute imaginer, penser, interpréter, mais en principe le fragment défie l'interprétation, ou alors elles sont multiples et inépuisables...»

 

Jean Baudrillard, D'un fragment l'autre.

 

Si ladina Gaudenz a longtemps réalisé des monochromes, dont la surface structurée en une grille régulière dissimulait des mots ou des dates au graphisme simplifié, c'est par goût pour la matière même de la peinture, travaillée dans son épaisseur, et peut-être aussi pour celui, cher à de nombreux artistes, d'un double langage: le premier, immédiatement perceptible, de la couleur brossée dans un espace contenu, maîtrisé, le second, plus secret, du message intime à découvrir.

 

 Peu à peu cette grille géométrique, héritée du minimalisme, devient une contrainte, un emprisonnement. Transgressant la rigidité de cette règle, l'artiste commence par décloisonner les motifs, en étirant et mélangeant les couleurs. Puis elle se libère du quadrillage et aborde des formes plus organiques et fluctuantes, inspirées par l'observation scientifique du monde végétal et animal.

 

Passionnée par les études de Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977, sur la naissance de la vie, elle s'y réfère: «la vie m'apparaît comme la fluctuation de la matière». Cette pensée la conforte dans sa volonté d'intégrer le mouvement de la vie aux représentations qu'elle en donne, et la conduit à s'intéresser au microcosme autant qu'au macrocosme. Biologie et astrophysique deviennent deux de ses sources d'inspiration.

 

Apparaissent alors des motifs arrondis, comme des cellules flottant dans un liquide aux nuances subtiles, d'une fluidité aquatique, ou des espaces interstellaires, habités par des amas lumineux (Chute d'une étoile, 2001). Le travail comporte deux étapes. Tout d'abord la structure est construite, des formes précises sont tracées et les tons, souvent acidulés et contrastés, sont posés. Ensuite vient l'intervention, plus libre et plus rythmée, du brossage de l'huile encore fraîche, dans un geste ample, transversal, qui étire les couleurs et reproduit le glissement des substances organiques. Il faut jouer avec le temps, car le séchage empêcherait toute progression, et avec le corps entier, dont la gestuelle imprime sa «danse» à l'ensemble de l'œuvre.

 

Les supports aussi évoluent. Elle installe de longs cadres verticaux posés à même le sol (Flower  powder, 2001), comme des mikados géants qu'on aurait laissé tomber contre le mur, et aborde de très grands formats, souvent oblongs.

 

Ses dernières toiles montrent des traces de végétaux, «fossilisés» dans la peinture cireuse qui les révèle, ou des fragments de paysages surexposés, aux couleurs saturées. La rigueur n'exclut pas l'humour, voire l'impertinence malicieuse: Lucy in the sky (2001) met en scène des vaches surnaturelles, d'un bleu turquoise, transformées en mémorial comique à la gloire des vaches folles.

 

L'un des thèmes qu'elle explore est celui de la perception du temps et de la mémoire. La vision fugitive de paysages de son enfance, en Engadine, saisis dans leur défilement à la fenêtre d'un train, donne naissance à la série des K. rollin' (2001), vastes toiles, à la fois traversées par la vitesse de la vie qui passe et figées dans l'immobilité d'une méditation contemplative. C'est le temps intériorisé du souvenir confronté à celui, insaisissable, du moment présent. Là aussi, l'artiste rejoint Prigogine pour qui «le temps n'est plus seulement une propriété subjective de l'homme, mais une propriété cosmologique qui nous replace à la pointe de l'univers».

 

Les champs d'investigation de Ladina Gaudenz, sans cesse renouvelés, traduisent non seulement sa fascination pour les phénomènes naturels et son attachement à les saisir, avec toute leur richesse, leur complexité et leur mouvance perpétuelle, mais aussi sa relation avec le travail photographique -qu'elle utilise en tant que témoin visuel -et la notion de fragment dont il procède. Elle pratique le fragment comme elle fait de la photo, en captant des bribes, en isolant, en se laissant éblouir par l'image pour elle-même, dans son silence, dans sa fugacité, dans son mystère. «Dans le détail, le monde est parfait>, dit Jean Baudrillard.

 

Françoise Mamie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vue de l’exposition, andata.ritorno, 1999

 

 

 

vue de l’exposition, andata.ritorno, 1999

 

« Promenades »  Musée de l’ Athénée, Genève

du 22 mai au 21 juin 1997

            

Le « style » d’une écriture ne réside pas seulement dans le choix des mots et des ponctuations. L’écriture est d’abord  une forme de rapport à

l’espace.

         

Serge Tisseron, Le bonheur dans l’image, Synthélabo 

 

L’ accrochage des travaux de Ladina Gaudenz requiert une certaine concentration pour saisir une démarche qu’ un regard rapide ne peut appréhender dans la diversité des qualités plastiques mises en jeu.

De prime abord, habitués que nous sommes à un environnement producteur d’ images aux références et aux lectures immédiates, le risque est grand de se méprendre sur le sens des surfaces monochromes assemblées dans l’ espace de l’ artiste.

Pour en percevoir justement les composantes , le spectateur doit laisser le temps de dérouler sur les surfaces peintes, laisser son regard s’ habituer et apprivoiser la lumière jouant sur les textures. Car la lumière intervient comme composante essentielle des jeux visuels de Ladina Gaudenz. C’est à travers de cet élément externe que le s tableaux acquièrent leur plasticité ; ils deviennent objets changeants qui, en absorbant la luminosité ambiante, se modifient constamment dans leur présence physique. Ils sollicitent la perception de l’observateur qui se trouve amené à inventer l’objet soit par son déplacement physique, soit en laissant la lumière évoluer sur la matière picturale.

Si les objets de Ladina Gaudenz se prêtent aux métamorphoses visuelles, c’est

qu’ils résultent d’une réflexion longuement menée sur les interactions entre couleur et lumière, pour parvenir à cette incidence parfaite de l’éclairage sur la peinture. Tant de format carré,privilégié dans la structuration interne du tableau, que la pose de la matière picturale - organisée par un assemblage do touches exclusivement verticales et horizontales- sont choisis afin de capter le plus radicalement chaque rayon lumineux.

Ce jeu visuel se complexifie parfois lorsque le support peint multiplie les accents lumineux en faisant appel à un répertoire  de signes apparemment connu des yeux - l’écriture.

 

Les lettres organisent le geste pictural, structurent la matière; assemblées par la masse  colorée, elles deviennent mots, suggèrent de sons, dont le sens parfois su laisse entendre clairement alors que d’autres fois, il se dérobe et semble se dissoudre dans la lumière.

Face à cette ambivalence, il serait vain de réduire la présence de l’écriture à son seul signifié. Ni extraits du contexte social, ni de l’environnement urbain, mais choisis par un hasard contrôlé, les mots participent de la mise en espace, interpellent l’ imaginaire du spectateur. Ils ne se révèlent pas avec évidence, mais se prêtent à l’interprétation, sans pouvoir être restreints à une signification unique et fermée.

Jouant sur le signifiant, sur la musicalité suggérée des sons, l’assemblage de lettres dévoile peu à peu un sens, comme un message ouvert et poétique, volontairement ambigu.

Soumis au facteur aléatoire et changeant de la lumière qui s’ insidue dans chaque trace posée sur le support, l’accrochage s’inscrit en prolongement du travail effectué en atelier. Il en résulte une sorte de fascination face aux tableaux qui, issus de geste précis et d’un rigoureux assemblage de formes se laissent appréhender de multiples façons.

Le regard du spectateur, ainsi sollicité, est amené à percevoir la lumière apprivoisée et à saisir une des clefs de lecture qui organise la surface de chaque objet peint.

 

Myriam Poiatti

 

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