Bernard Moninot

"Antichambre"

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Bernard Moninot – Peintre du silence

 

« Je mis les gants blancs,

ceux dont le silence est si lourd. »

                                                     Stanislas Rodansky

 

« Amoureux du lieu », c’est ainsi qu’Etienne Harding, troisième abbé de Citeaux, a été surnommé en son temps. Depuis plusieurs années, Bernard Moninot, quant-à-lui, travaille dans ses ateliers de Paris et de Château-Chalon, à créer des images sur un des éléments les moins représentables, à savoir le silence. Ce silence dont Marcel Duchamp disait « qu’il serait l’ultime ready-made ».

J’ai choisi un autre silence par rapport à une exposition que j’avais programmée à Andata Ritorno à la même date. Il s’agissait d’une manifestation en l’honneur du centième anniversaire du ready-made. J’avais proposé cet évènement à une dizaine d’artistes dont justement, Bernard Moninot, et parmi d’autres, John Armleder, Gianni Motti, Carmen Perrin, Jacques Monory et l’écrivain Alain Jouffroy qui a bien connu Marcel Duchamp. J’ai préféré annuler cette programmation et la remplacer par une unique exposition de Moninot, dont le travail repose notamment dans un héritage pertinent de Duchamp. Le battage tonitruant par la production de millions de ready-mades actuellement dans le champ de l’art est une aberration et une contradiction totale avec la pensée de Marcel Duchamp. Ainsi, il m’a semblé préférable de se taire plutôt que de participer à l’esbroufe, généralisée autour de cet artiste. Joseph Beuys ne s’y était pas trompé : « On a surestimé le silence de Marcel Duchamp. »

Bernard Moninot, lui, a choisi de nous inviter à habiter le temps de leurs visions, des lieux où, avec notamment l’utilisation de figures empruntées aux sonogrammes, il nous apprend à écouter ce qui ne s’écoute habituellement pas, à savoir les sons qui se cachent derrière les plausibles images.

De l’architecture cistercienne, l’artiste a peut-être hérité ce goût d’un voyage traversant le monde de l’intériorité. Sans surenchérir sur ce terme aux évidentes connotations spirituelles, il est sans doute clandestinement proche de la pensée de son ami Bernard Noël qui écrivait « Ce qui va sur nos lèvres et s’envole est peut-être de l’âme ou du levain d’ange », propos adressé à ce frère en poésie qu’est Jacques Roman. Ce dernier parle à son tour de ce « désir d’être le sommeil de personne sous tant de paupières » pour tenter d’atteindre « la vive résistance de la beauté. » Marguerite Duras nous avait averti « de cette nouvelle chance d’un monde sans Dieu. »

Je sais pour ma part ce que m’a apporté, ce que m’apporte dans l’aujourd’hui, ce privilège de vivre et travailler dans une exposition de Bernard Moninot (au demeurant cette fois-ci, la cinquième personnelle).

Ces heures de délectation visuelle pure à voir se renouveler au gré de la lumière du jour et ses variantes infinitésimales de reflets et des jeux de l’ombre ; dans le chant de la nuit aussi où ces mêmes ombres se dessinent avec plus de netteté, d’acuité et de lignes vives, ces « dessins dans l’espace » comme l’artiste aime à les appeler, débarrassés alors du support du papier ou de la toile, pour se déployer dans l’espace entier. Cette graphie aux contours infinis dont la vision se multiplie dans une invitation à la contemplation. Cette litanie de formes inattendues qui s’inventent des symphonies comme face à un orchestre absent.

Tant il est vrai que parfois, les murmures sont capables de plus de remous que les grondements. Tout cela ressemble au don de moments de grâce qui se réinventent sans cesse. Des variations sans fin sur la scène de la vision sensible et touchant à la corde de l’imperceptible pressenti. Ces variantes comme un clignement de paupière visant à dévoiler une infime part d’invisible. Les ombres encore, métaphore de la recherche immatérielle, entité même de tout art véritable.

Je réentends alors un mot de la voix de Bernard Moninot citant Paul Klee apprécié : « Je peins pour un peuple qui n’existe pas encore. »

 

                                                                                                          Joseph Farine

Mars 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


andata.ritorno  

laboratoire d'art contemporain

 

37, rue du Stand, 1204 Genève, Tél. 022 329 60 69

Ouvert du mercredi au samedi de 14.00 heures à 18.00 heures

Avec le soutien du département de la culture de la Ville de Genève

 

 

 

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